Académie des Beaux-Arts de Watermael-BoitsfortMuriel Borreman
Cours d’Histoire de l’Art – Francois Liénardannée 2014-2015.
Elève : Muriel Borreman TRANSITION C3.2
Francis Bacon : three figures and portrait (1975)
Huile et pastel sur toile (198 x 147)
Sa vie et son parcours
Naissance à Dublin en 1909 et pourtant il n’est pas irlandais mais d’origine anglaise.
Les 16 premières années de l’artiste en Irlande s’inscrivent dans un climat familial très tendu et violent. Son père est militaire de carrière puis éleveur de chevaux. Il a la bougeotte et donc la famille va souvent déménager.
L’artiste a aussi très peu de contact avec sa mère, il souffre d’asthme et est un enfant solitaire, livré à lui-même, hors d’un cursus scolaire régulier et rebelle au pensionnat…
Par contre il découvre chez ses grandes tantes et sa grand-mère maternelle un espace de liberté ouvert propice à la fantaisie, la pratique artistique .
A cette époque l’Irlande connaît beaucoup d’agitation et ensuite il y aura la première guerre mondiale. Le monde qui l’entoure est déjà perçu comme une menace. Et pourtant l’artiste dira plus tard que la menace guerrière sera une expérience fondatrice pour lui et sa pratique artistique!!!
En 1925, bacon est chassé du domicile familial par son père qui ne supporte pas son homosexualité. Commence alors pour l’artiste une vie à Londres, remplie de divers petits boulots. Son père essaye ensuite de le remettre sur le droit chemin en le confiant à un ami. Cette précieuse tutelle va permettre à Bacon de voyager de Berlin à Paris, où il découvre entre 1927 et 1929 la peinture de Picasso.
C’est un tournant décisif dans son parcours.
Car entre-temps Bacon a 20 ans et est devenu un jeune créateur de meubles mais c’est en découvrant les toiles de Picasso qu’il décide de « s’essayer à la peinture » comme il dit !
Le Massacre des innocents de Nicolas Poussin va aussi profondément marquer Bacon.
Bacon s’installe dans un garage reconverti en atelier.
Il va rencontrer trois figures très marquantes dans son parcours artistique :
– Roy de Maistre peintre de dix ans son aîné et qui va ouvrir deux voies à Bacon : le côté technique de la peinture et le sens des relations sociales. Ensemble ils vont exposer meubles et peintures en 1930.
En 1933, c’est la fameuse Crucifixion de Bacon qui sera reproduite dans un livre de l’historien de l’art Herbert Read sur l’art contemporain.
– Autre figure marquante : Graham Sutherland qui va grandement contribuer au savoir-faire technique de Bacon et lui faire découvrir et connaître un milieu influent pour sa pratique artistique.
– Il y aura ensuite Éric Hall qui sera son mentor et appui financier durant 15 ans.
En 1940, c’est la guerre et Bacon est réforme pour cause d’asthme.
Son atelier est situé dans un immeuble abîmé par les bombardements.
Et pourtant sous cette menace que fait peser la guerre, Bacon peint obstinément !!!
En 1944 nouveau Triptyque de la Crucifixion.
C’est un nouveau point de départ pour Bacon qui n’a pas souhaité exposer ses tableaux d’avant, dont la plupart seront d’ailleurs détruits par l’artiste.
Il a 35 ans et va continuer à peindre de façon ininterrompue durant les 50 années à venir !!!
Au sortir de la guerre presque tout est joué au niveau du personnage de Bacon : l’impératif de créer (jusqu’au bout), son mode de vie et la nature de ses relations affectives. Les expositions vont se suivre : Londres en 1949, New York en 1953, Paris en 1957 et la biennale de Venise en 1954.
Bien peu des désordres de sa vie vont entamer son énergie créatrice,
Son travail sera très régulier. Il s’impose une exigence opiniâtre !!!!
Il travaille de 6h du matin à midi tous les jours et dit « toute ma vie rentre dans mes tableaux ».
Son style
Bacon va se nourrir de plusieurs influences artistiques :
art égyptien, art rupestre du Nord de l’Espagne, les peintres Cézanne, Degas, El Greco, Goya, Renoir, Seurat, Rembrandt, Vélasquez, Picasso, Van Gogh, le sculpteur Giacometti , pour n’en citer que quelques-uns.
De Picasso, il va retenir l’attachement à la figure humaine, son acharnement à la déformation (dans le cubisme on montre le personnage sous diverses formes), sa liberté de construction et sa curiosité technique.
Le motif de la Crucifixion puise son origine essentiellement dans la peinture de Picasso.
La toile du pape Innocent X de Velasquez le fascine littéralement et la cruauté trop banalisée par la culture ambiante et souvent redite par les peintres des siècles passés interpelle bacon (bœuf écorché de Rembrandt 1655, peinture de Goya, Grünewald).
Il va peindre tout un temps « ses quartiers de viande », comme Painting 1946 par exemple. Cela procède de l’ordre de la
défiguration de l’humanité et il construit une structure autour : la structure vient du réel mais pas toujours. Cette cage est là pour remplir du vide, donne une structure à la composition ainsi qu’une profondeur. Il cherche à représenter une autre forme d’humanité, mi humaine mi animale, quelque chose de nouveau à l’instar de Grünewald.
Sans doute peint-il le désarroi de la condition de l’homme occidental en Europe où l’on n’a pas encore découvert toutes les atrocités de la seconde guerre mondiale…
En 1950 apparaît le nu masculin dans la peinture de Bacon, étape importante et exprimant une même préoccupation pour la figure humaine que son ami peintre Lucian Freud, alors que les peintres abstraits sont en vogue.
Bacon peint sans modèle, donc sans témoin, mais sa source principale d’inspiration vient de la photographie. Il demande à John Deakin de réaliser des photos qu’il va littéralement laisser « traîner » par terre, dans le chaos indescriptible de son atelier rempli d’un amoncellement divers de tubes, de peintures, de poussière… Ces photos « voyagent » donc dans l’atelier et réapparaissent d’une autre façon pliées, froissées, avec des taches de couleur, de poussière et « parlent » autrement au peintre.
Il tente d’atteindre le plus possible à la ressemblance originelle par la déformation, ce qui ne peut se faire que sans modèle. Il s’agit en effet de casser l’image pour mieux la retraduire, ce qui est trop éprouvant pour un modèle…
Il puise sa créativité dans d’abondantes sources: des documents d’iconographie médicale sur les déformations de la bouche, un livre qui renseigne des techniques radiographiques, les photos de l’américain Muybridge avec 4700 images sur le corps en mouvement, il est fasciné par le cinéma et le mouvement en général.
Même si on a analysé toutes ses sources principales d’inspiration et ses influences artistiques, la peinture de Bacon a une extraordinaire puissance vitale !!!
La réalité physique de la peinture prend le pas sur toute autre. C’est en fait dans la peinture même que réside la violence et non dans le sujet traité.
Ses tableaux se veulent une tentative de mettre de l’ordre et non du désordre dans la banalité du supplice existentiel.
Le peintre doit inventer une manière d’exprimer « l’indicible vérité » que l’on ne peut exprimer par des mots.
En 1961, c’est dans son atelier de South Kensington qu’il va réaliser ses triptyques. Période où l’abstraction flambe. L’atelier est étroit ce qui engendre des contraintes au niveau des dimensions de ses toiles. Il réalise ses essais de couleurs sur les murs, et utilise des toiles plutôt d’un grand format ce qui privilégie la relation spectateur et tableau.
Son talent devient bientôt fort reconnu et à sa mort son atelier sera minutieusement étudié dans les moindres détails pour comprendre les dessous de son génie.
Ses triptyques permettent une succession d’images comme au cinéma.
Il fait référence à l’art sacré, donne une impression de mouvement (l’artiste tente de saisir la réalité par la conquête du mouvement) et enfin peuvent être comparés au système musical d’Olivier Messiaen qui distingue le rythme actif, passif et témoin.
C’est aussi à cette époque, dès 1960, que ses personnages vont évoluer sur une surface balisée, un ring, une piste, une arène, un plancher, une scène, des formes qui se sont arrondies.
C’est sous l’influence des couleurs de Van Gogh que le geste du peintre et le territoire qu’il construit s’affirme définitivement par des couleurs très marquées : rouge orange vif, jaune orange très lumineux, rose bonbon, bleu intense, vert tendre, mauve …des couleurs qui ne sont pas du tout à la mode à cette époque !!!
Comme au cirque ou au stade, l’espace de représentation est ouvert vers le spectateur avec une vision en légère plongée,
D’où la sensation d’enfermement, thème majeur de l’artiste, plus suggérée que décrite.
Des « cages », ou structures, creusent l’espace et enferme les personnages, des descriptifs s’y ajoutent comme une lampe, une porte, un interrupteur, un mobilier, un rideau, …
Tout cela construit un espace psychique et abstrait hors du temps.
Il y a aussi une perte des repères ou de leur fiabilité de par la construction de la toile qui rend les espaces ambigus tout a la fois abris et menaces. Les tableaux donnent un sentiment d’immédiateté.
Curieusement les étapes dans la carrière artistique de Bacon coïncident avec des moments difficiles dans ses amitiés, son ami George Dyer se suicide le jour du vernissage de sa rétrospective à Paris en 1971.
Dans les années 1970 et plus tard, il travaille beaucoup plus en usant du hasard :
« …je jette sur les œuvres pas mal de peinture et je ne sais pas ce qui va lui arriver, je la presse simplement dans la main et je la jette.
Je peux seulement espérer que la projection de peinture sur l’image déjà faite, ou à moitié faite, va la recréer… »- dit il.
Bacon décède en 1992 à Madrid en ayant peint pendant presque plus de cinquante années en continu !!!
Three figures and portrait (1975)
Huile et pastel sur toile
Analyse de la toile
Trois personnages mi humains mi animaux ou oiseaux évoluent autour d’un axe circulaire sous l’œil intrigué et énigmatique d’un personnage qui regarde la scène au travers d’une boîte noire (comme au cinéma ?).
Ce personnage dont on ne voit que la tête est déformé, défiguré et est vêtu d’un costume bien chic, tout en noir et blanc hormis la cravate orange (enfin un peu de couleur), ce qui contraste complètement par rapport à ces trois personnages tout à fait « inhumains » , bizarres ,zoomorphe (fait référence à l’art de Max Ernst) et d’inspiration mythologique, presque irréels et très indigestes, comme pris dans une mauvaise posture circulaire cauchemardesque et qui cherchent une issue à leur cage ou au lien qui tourne en rond….ces trois personnages sont peints de façon assez réalistes avec des couleurs très peu attirantes comme du brun boue, beige, gris blanc légèrement rose, flous et aux contours parfois imprécis (un peu comme une sculpture).
Comme Picasso il combine le pastel et l’huile ce qui donne un aspect presque sculptural. Ces trois personnages sont assez inquiétants, très peu rassurants mais le reste de la composition baigne dans des tons très lumineux, presque ludiques comme du jaune, orange, beige orange, avec beaucoup de sensualité.
La bandelette jaune on dirait presque de la soie, on a l’impression d’être dans de la haute couture. Les couleurs font référence à Van Gogh bien sûr et on est tout de suite attiré par cette toile qui dégage une puissante vitalité !!!
L’ensemble de la composition crée un espace fermé, un décor indéfini, celui d’une pièce close ou trois personnages tournent en rond, à la limite du cauchemardesque, où l’on a un sentiment d’ambivalence, entre attraction et répulsion.
La cage est tout à la fois abri et perçue comme menaçante.
Les déformations « optiques » que Bacon infligent à ses personnages puisent leur source dans sa passion dévorante pour la photo et le cinéma.
Les cages font référence au mobilier que Bacon créait dans les années 1920, mais aussi aux socles que le sculpteur Giacometti a inventés pour ses sculptures. Bacon avait beaucoup d’admiration pour lui.
Le côté circulaire donne malgré tout un sentiment de sécurité et fait référence à une pièce arrondie ou Bacon aimait se réfugier chez sa grand-mère maternelle.
Il y a une certaine connivence avec une toile de de Chirico ici dont le thème est très classique.
Malgré le personnage figé qui observe la scène de façon très hiératique, les trois personnages qui tentent de circuler sont en mouvement et bougent comme ce personnage mi-homme mi- oiseau qui tente de se défaire de sa cage.
Bibliographie.
• Christophe DOMINO, Bacon, monstre de peinture, Paris, Editions Gallimard, collection Découvertes Gallimard – Centre Georges Pompidou – peinture, 1996
• Serge FAUCHEREAU, Bacon 1909-1992, Paris, Editions Cercle d’Art, collection Découvrons d’art du XXème siècle, 2003
Sites web.
• http://francoisquinqua.skynetblogs.be/archive/2007/04/30/francis-bacon.html#comments, consulté le 22 mars 2015.
• http://www.laurentmarre.com/31-artistes-contemporains-reconnus/francis-bacon-peintre/, consulté le 22 mars 2015.
• http://espacecreationjeanlouis.blogspot.be/2012/01/francis-bacon-toute-la-violence-du.html, consulté le 22 mars 2015.
Bacon 150503.docx9/903/05/2015